Introduction : Les deux amis ne sont pas les seuls à passer leurs nuits à entraîner les algorithmes de l’IA. Au fil des maisonnettes en tôle du bidonville, des dizaines d’autres habitants effectuent des tâches similaires. Depuis une minuscule pièce sans fenêtres, les yeux rivés sur un vieil écran, Cheiro, 27 ans, examine quant à lui un nuage de milliers de points disséminés sur un plan en trois dimensions. Juxtaposant l’ensemble avec une photo prise depuis le tableau de bord d’une voiture roulant à San Francisco, il sélectionne certains agglomérats de points à l’aide de sa souris puis note leurs coordonnées géométriques dans un logiciel…
Afin d’entraîner leurs algorithmes, les multinationales appâtées par les promesses de l’IA nécessitent en effet d’immenses quantités de données « annotées », c’est-à- dire préalablement déchiffrées et organisées par des humains. L’océan de photos captées par les téléphones portables d’Apple ou Samsung est ainsi exploré ; le contenu des millions d’heures de vidéos filmées par les voitures autonomes est répertorié ; des millions de documents comptables sont disséqués afin de pouvoir, un jour, automatiser les services administratifs de milliers d’entreprises.
« Chacun de ces points matérialise le rebond du laser projeté par la voiture autonome au moment où elle analyse son environnement. Je dois identifier chaque forme afin d’aider le véhicule à distinguer une autre voiture d’un piéton, un arbre d’un panneau ou un animal d’un bâtiment. Je répète cette tâche environ douze heures par jour, sept jours par semaine, souvent la nuit », soupire-t-il en pointant vers un coin de la pièce, où une paillasse malodorante gît sur une palette de bois. « Si je comprends bien, ces données permettront un jour à l’intelligence artificielle de remplacer les conducteurs. »