« Les émotions façonnent nos démocraties capitalistes »

Introduction : Les émotions ne sont pas à l’intérieur de nous comme on serait à l’intérieur d’une chambre avec la porte fermée. Le monde social ne cesse d’agir en nous à travers des normes, des récits culturels, des idéologies. Des forces sociales comme le marché, la culture de masse ou encore le régime politique de la démocratie modèlent notre intimité et s’y infiltrent. Elles influencent en retour l’expérience et l’expression de nos émotions dans l’espace public. L’enjeu, pour la sociologue que je suis, c’est de comprendre l’articulation entre, d’un côté, le vécu biographique, la subjectivité et, de l’autre, les structures et les institutions sociales.

Extrait : La méritocratie, l’idéologie fondamentale de nos sociétés, repose sur une supercherie : elle nous fait croire que tout est possible, alors que les places au soleil sont intrinsèquement rares. Nous vivons nos vies comme dans une boîte de verre – ses parois sont transparentes et donc invisibles, nous regardons le spectacle incessant des vies riches et heureuses exposées dans les médias, nous les croyons à notre portée, mais nous nous heurtons aux limites de la boîte chaque fois que nous essayons d’en sortir. Cet espoir qui ne s’est pas concrétisé engendre un autre affect typiquement moderne, la déception. Nos vies professionnelle, sentimentale ou encore parentale, sont toutes des vies un peu ou très déçues. Nous vivons désormais avec ce que le psychologue britannique Adam Phillips appelle « la vie non vécue », une vie pleine de potentialités inabouties et qui ne cessent de nous hanter.

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